C’est la dégustation de ce jour, l’une de mes appellations préférées, Châteauneuf-du-Pape, et vous allez voir qu’il n’est pas toujours facile d’apprécier un vin !
Quelques rappels pour vous échauffer avant de plonger le nez dans le verre : l’appellation fait partie de la vallée du Rhône sud, cette grande région vinicole ne mettant pas les mêmes cépages à l’honneur selon que vous êtes au nord (quasi mono cépage pour schématiser, avec la syrah et le viognier) ou au sud (d’assemblage grenache, syrah, carignan, cinsault, marsanne, roussanne, clairette). (Le lien vers l’article complet concernant l’appellation châteauneuf-du-pape)
Châteauneuf-du-Pape est l’appellation phare du sud, avec une mosaïque de terroirs, un fort ensoleillement et le mistral qui souffle. L’assemblage est roi pour l’immense majorité des 300 vignerons (avec quelques brillantes exceptions toutefois), avec 13 variétés de cépages autorisées. Pour les rouges, on est pour la majorité des cuvées autour du grenache, 70% de l’encépagement, de la syrah et du mourvèdre, et c’est le cas de Fortia 2013. Le terroir du domaine est composé des fameux galets roulés, sur des argiles rouges. La taille des vignes est en gobelet, avec des pratiques viticoles évoluant (très) doucement vers le bio (Label Terra Vitis en 2016, HVE 3 en 2019). Les vendanges sont éraflées et les élevages se font en vieux foudres.
Venons-en à notre bouteille et à sa dégustation, hier soir, qui est un vrai moment de plaisir : la couleur est belle, prononcée, un beau rubis sans reflets tuilés qui marque une relative jeunesse, car on n’a plus l’éclat violacé des premières années, le vin a une jolie brillance.
Dès l’ouverture, le fruit compoté, confit explose quand j’approche mon nez du goulot pour vérifier l’absence de goût de bouchon. Dans le verre, car j’ai soif et à ce moment-là pas du tout envie de prendre quelques notes de dégustation, on a d’abord ce fruit qui s’épanouit, avec une bouche un peu rugueuse qui nous rappelle que les vins de garde mettent un peu de temps à lisser leurs tanins ! J’en reste là, d’abord parce que je découvre que ma femme a préparé une soupe de poisson (autant laisser tomber, même si la rouille pourrait s’accorder), et ensuite pour le laisser s’ouvrir.
Aujourd’hui, le soleil d’automne plus froid marque la journée, et je reprends mon Fortia 2013: dans la clarté de la journée, je retrouve la couleur profonde et pas évoluée d’hier soir, des jambes qui montrent un bel équilibre. Le premier nez est marqué par la liqueur de fruits noirs, mais toujours une pointe de fruit frais, et c’est le fruit qui occupe ces minutes à le humer pour rechercher les nuances : au deuxième nez ou à l’agitation, les arômes d’évolution (dits tertiaires) apparaissent, j’ai du mal à distinguer s’ils sont plus végétaux (humus, champignons) ou animaux (cuir, fourrure), peut-être parce qu’ils ressortent à peine, et que le vin commence à évoluer.
La bouche est élégante, suave avec ses tanins fondus, qui ont perdu leur côté brut avec une nuit d’aération évolution, à peine présents. La longueur est agréable, on a plaisir à garder la mémoire de la gorgée. On approche de l’apogée d’ici 2/4 ans peut-être sur ce millésime moyen.
Signe suprême de qualité, ma femme se ressert au cours du repas, ce qui n’arrive quasi jamais (les éminents membres du club m’en sont témoins) : donc du bon, du très bon, je suis ravi de l’ouverture de cette bouteille !
Vous allez me dire : pourquoi parler des misères de la dégustation quand je ne semble ressentir que du plaisir ?
Si vous relisez notre dégustation des Châteauneuf-du-Pape (Le lien vers l’article), vous verrez que Fortia 2013 ne ressemble pas du tout à ce que je viens de vous décrire : « Œil : rouge avec disque légèrement entamée [c’était le soir, à la lumière artificielle], Nez : chocolat, fruits confits, eau de vie. Bouche : Aqueuse, animale. 2ème en légère astringence, décharné pour une finale en déséquilibre, alcooleuse » Ça fait moins envie. Nettement moins envie.
C’est important de réaliser cela à chaque fois que nous ouvrons une bouteille, parfois enthousiasmés à l’avance de la faire gouter aux amis, et d’être déçus nous-même par ce qu’on ressent, ou d’être déçus par leurs réactions.
Les conditions ne sont pas toujours bonnes : la dégustation comparée est délicate pour les vins (et les dégustateurs qui peuvent toujours surestimer le maintien de leurs capacités olfactives et gustatives), l’élégance et la finesse peuvent s’estomper derrière la puissance et l’exubérance.
Les capacités de dégustation de chacun peuvent aussi varier (certains jours, j’ai conscience de passer à côté des arômes, de ne rien sentir), en fonction de la fatigue, du temps, mais aussi des mets : les cacahuètes ou les chips épicés peuvent être des adversaires redoutables pour le dégustateur en recherche d’arômes !
La bouteille elle-même peut être plus ou moins accessible durant l’année, en fonction de phénomènes qui échappent à ma compréhension, mais qui font que le vin reste vivant dans la bouteille et suit le cycle de la vigne… Egalement, elle peut mettre quelques heures ou quelques jours à révéler le meilleur d’elle-même, notamment pour les vins jeunes.
Que conclure ? Qu’il est important d’acheter par 6 pour donner sa chance au produit ? Non, bien sûr il y a aussi possibilité d’acheter par 12 ! Je crois qu’il faut rester humble face à une bouteille quelle qu’elle soit, comme nous, elle peut n’être pas au mieux de sa forme, et il faudra savoir se souvenir toujours des moments de rencontre heureuse entre la bouteille et son amateur.