2020 sera décidémment l’année de tous les dangers.
Ce soir-là, en ouvrant machinalement le réfrigérateur à la recherche de notre diner, un choix cornélien s’annonçait à ma compagne et mon estomac, qu’allions nous donc manger ? Ce bloc de foie gras qui me fait de l’œil depuis plusieurs jours et dont les charmes sont autants de plaisirs à mon palais, ou ce carpaccio de bœuf frais dont je ne pouvais soutenir plus longtemps le supplice d’attendre ma fourchette aiguisée. Nous allions devoir choisir et je devais, pour emporter la décision capitale, convaincre mon auditoire par une argumentation ciselée, et par un grand coup de chââââtte (Benoit Paire aime ça !) au chiffoumi.
Avant même que combat commence, alors que j’étais en train de préparer une première salve d’attaque, ma compagne propulsa l’adversité dans une autre dimension par une formule qui « tua le game » (les jeunes aime ça !) :
« On peut faire le foie gras en entrée puis le carpaccio en plat principal. Toi qui voulait ouvrir une bouteille, tu va bien trouver le vin qui va pour les deux.»
Elle venait de me jeter le gant. Je le recevais en pleine face et je n’attendais rien pour accepter promptement le defi sachant qu’il allait être deséquilibré (ma compagne ne boit pas !).
Mon orgueil et moi-même nous dirigeâmes alors vers la cave où le choix de l’arme allait se faire. De mes souvenirs et autres habitudes, ce type de foie gras s’accompagne généralement de vins moelleux ou liquoreux. Alsace, sauternes, vouvray, vendanges tardives, monbazillac, autant de nom qui s’offrent à moi. De mes envies et autres pratiques, le boeuf cru quant à lui nécéssite un vin rouge souple, jeunes et fruités. Bordeaux clairet, faugères, anjou me passe par la tête sans y faire impression.
Le lien vers l’article complet concernant les accords mets/vins avec le foie gras
Le lien vers l’article complet concernant les accords mets/vins avec le boeuf
J’étais dans le doute, avec tant de questions mais surtout tant de possibilités tenant compte de l’équilibre nécessaire : fruité, mais pas trop, avec de la texture, mais pas trop, frais, mais pas trop, avec quelques tanins, mais pas trop…Bref j’étais bon pour prendre le centriste parfait de ma cave, le Raymond Barre des pinards, quand mes yeux se sont posés sur la cuvée les bérangères de Jacques Puffeney - Arbois 2014. J’allais donc vers le Jura, une région peu connue des amateurs de vins, et un de ses cépages phares : le trousseau. J’avais acquis cette bouteille au domaine à Montigny les Arsures et le magnifique souvenir de la dégustation et du moment passé me donnait confiance en mon choix.
Je laissais le temps de l’installation du repas pour me consacrer à la dégustation de ma trouvaille.
L’oeil découvre une robe rouge claire (grenat) et de faible intensité, avec des reflets orangés vers le bord. Une couleur qui ferait peur au novice, mais me rassure sur la précision du breuvage.
Le nez est expressif, avec en premier l’odeur du vieux pressoir que mon grand-père mouillait avant les vendanges. Les puristes diront « animal », personnellement je préfère me souvenir de celui qui m’a fait aimer le vin. Puis en second, viennent les fruits rouges avec cette petite acidité qui rappelle la fraise ou la framboise. Par un court passage floral (la rose) viennent ensuite les épices et naturellement un twist de poivre.
La bouche est harmonieuse. L’attaque est nette, sur le fruit, et un volume apparaît en milieu de bouche par la fraîcheur et la gourmandise des arômes de fruits rouges et noires (framboises, cassis). La structure de ce vin est bien équilibrée et reste friande. La texture est fine, patinée avec beaucoup de finesse et d’élégance de toucher. D’un caractère dynamique, le corps est dense et svelte à la fois, d’une merveilleuse sapidité, avec une finale étonnante de vinosité et de longueur.
En conclusion voici le trousseau dans ce qu’il peut offrir de mieux en délicatesse, le tout reposant sur de beaux tanins longs et juteux, avec une certaine minéralité. Élevé 18 mois en foudres de grande contenance, on découvre des arômes merveilleux et entêtants : la fraise, la cerise ou le cassis ne sont qu’un prélude.
Une réussite qui se goûte merveilleusement aujourd’hui, seul pour le moment. Je m’attache à me rapprocher du diner pour mettre ce flacon à l’épreuve de son destin.
Avec le foie, l’acidité des fruits rouges vient manger le gras pour se marier dans une danse envoutante. Certes si pour beaucoup l’accord est moins parfait qu’un vin liquoreux, je ne reste pas du même avis et suis persuadé qu’un vin rouge à la texture fine et legère est préférable à l’épaisseur que représente un liquoreux, le manque de sucre étant comblé par celui des arômes de fruits rouges et noires. Bref, la première étape étant passée haut la main, je sens le momentum me gagner avant la deuxième épreuve.
Avec la viande, la délicatesse du toucher et l’expression épicée du vin sont mis à l’honneur. Les herbes et le parmesan ne trahissent en rien l’espoir mis dans le nectar. Ils se marient parfaitement à la vinosité de sa finale. Je me régale donc de ce plat et profite pour déclarer fièrement, d’un toast porté à ce vin et aux rencontrent qui m’ont permis de le connaitre, ma victoire devant mon adversaire déconcerté.
Il est ainsi, je finirai donc la bouteille ce soir, en superbe dessert d’une épreuve qui m’a demandé tant d’effort mais dont la réussite n’a d’égale que le péril auquel mon adversaire m’avais soumis. Ce dernier, dans un élan de fair-play vient à gouter l’objet de mon triomphe, confirmant la beauté du moment avant de s’éclipser et me laisser seul sur le champ de combat. Je reste là, atablé, dehors, à contempler le jardin et les toits de la ville, le verre à la main et mes pensées convoyant le soleil qui s’étouffe au loin.
Bref, nous sommes un soir d’été et comme le disais si bien Brel :
La chaleur se vertèbre
Il fleuve des ivresses
L’été a ses grand-messes,
Et la nuit les célèbre.