En mai dernier, nous sommes repartis dans le Jura, dans un wine trip que nous attendions tous.
Pourquoi en parler maintenant ? Parce que le Jura me manque, malgré les bouteilles qui ont éclairé ces 9 mois ! Vous le savez si vous avez lu d’autres articles de notre blog (Week-end 2020), le Jura tient une place un peu à part, presque bizarre : les vins de ce petit vignoble de l’est sont atypiques, pas toujours facilement sortables, et pourtant à la mode sur les tables du monde entier.
Si vous les ouvrez à l’improviste devant vos amis peu connaisseurs de vins, voire-même devant pas mal d’amateurs, les arômes les bousculent et vous obtenez parfois « c’est madérisé » (alors que personne de ceux qui vous disent ça n’a jamais bu un Madeire de sa vie), parfois « bof », parfois « je ne sais pas trop quoi en penser », ce dernier étant comme une petite victoire, tant ces vins peuvent déstabiliser.
Que trouve-t-on dans le Jura ?
D’abord, des vins blancs, avec deux cépages, le chardonnay et le savagnin : traditionnellement, les vins blancs sont issus du chardonnay, avec un élevage oxydatif, mais depuis une trentaine d’années, une bonne partie résulte d’assemblages entre les deux cépages. Autre nouveauté, depuis une dizaine d’années, les blancs ouillés à la façon bourguignonne sont devenus légion !
Ensuite, et c’est l’emblème de cette région aux vins souvent oxydatifs, nous trouvons des vins jaunes, issus du savagnin : arrêtons-nous une seconde : ici, l’élevage est inséparable du cépage, le vin va être élevé en tonneaux fermés, et va subir une « oxydation ménagée » : en s’évaporant (la fameuse part des anges), le niveau du vin baisse dans le tonneau, et contrairement à toutes les autres régions, le vin ne se transforme alors pas en vinaigre : il est protégé de l’air par une très fine couche de levures locales, qui se développent dans certaines caves, et qui forment un voile : après quelques années, les arômes développés sont très différents d’un blanc : curry et épices, noix verte, cerneaux de noix, pomme granny, fleurs blanches, voici ce qui surprend et parfois rebute les gouteurs !
Bien sûr il y a aussi les vins rouges, autour de trois cépages, le trousseau, le poulsard et le pinot noir du voisin bourguignon, qui vont donner des vins peu colorés, très fruités, avec des équilibres en bouche proches de la Bourgogne et du Beaujolais ; les tanins sont là et bien là, dans des bouches équilibrées, les vins sont bons jeunes et vieillissent très bien.
La région ne s’arrête pas là, il y a deux autres vins fantastiques à vous signaler, les vins de paille, liquoreux, obtenus après séchage des raisins et pressurage (10 kg de raisins pour 1 litre de vin !) et le macvin, un vin muté sur grains qui s’apparente au pineau des Charentes ou au floc-de-Gascogne, avec la typicité du Jura).
Depuis quelques années, ce qui a fait la réputation mondiale des juras, c’est un binôme magique entre les dérivés du vin jaune et les vins blancs ouillés, peut-être en effet rebond des soucis bourguignons sur les blancs : les vignerons, et particulièrement la jeune génération, se sont lancés dans l’élevage de grands vins blancs non oxydatifs, et c’est vrai qu’il y a de magnifiques vins !
Voilà le vignoble du Jura un peu résumé, Je ne m’attarde pas sur les appellations, de toute façon, la grande mode est de ne pas s’y référer !
Notre voyage 2022 était à la fois initiatique et quasi un pèlerinage : dans la fibre de Cluboeno, passeur de vins devant l’éternel, nous faisions découvrir le Jura à Christophe, et pour cela, nous nous étions dit que nous referions des « classiques ».
Le programme avait de quoi faire saliver : domaines de Montbourgeau et Philippe Vandelle à l’Etoile, Domaine Overnoy Houillon à Pupillin, caveau de Bacchus à Montigny-les-Arsures, avec une invitation à saluer le jeune retraité Jacques Puffeney, qui a fermé son caveau début 2022 avec la vente de ses derniers jaunes 2014!
Et juste avant ce beau programme, Vincent et moi, qui avions 45 minutes d’avance sur l’autre voiture et charge de récupérer une commande chez Macle, malheureusement indisponible, avons fait un arrêt chez Bourdy, un domaine existant depuis le XVIème siècle, qui commercialise encore des bouteilles de plus de 200 ans…
Je ne vous en parle pas, on y reviendra en 2023 avec toute l’équipe !
L’Etoile
Montbourgeau, c’est un domaine familial, qui évolue avec son temps, la vigneronne Nicole Deriaux vient de passer la main à ses deux fils, qui apportent leur vision, mais la maman veille et conseille !
Nous avons beaucoup aimé les chardonnays ouillés, notamment la cuvée « Pied de Mont-Augy » 2020, tous les vins sont réussis, après, nous n’avons pas tous les mêmes goûts, et donc pas forcément envie d’acheter les mêmes : je ressors 3 cuvées de cette dégustation, Mont-Augy 2020, l’Assemblage 2020 et le vin jaune 2015 .
Direction Philippe Vandelle, c’est d’ailleurs là que nous logeons pour ce weekend, dans le gite qui sert aux vendangeurs et aux employés toute l’année pour manger. Comme nous nous étions loupés en 2020, c’est d’autant plus un plaisir de partager cette dégustation avec Philippe et son fils, là aussi la jeune génération prend le relais avec l’appui familial !
Les prix de ce domaine restent très accessibles et en font pour l’amateur qui aimerait découvrir un point d’entrée exceptionnel, Philippe Vandelle réussit tous ses vins, année après : je retiens toujours le crémant, comme chez Montbourgeau, j’ai un coup de cœur depuis deux ans pour le savagnin ouillé et je reste un aficionado du vin jaune ! D’ailleurs, j’avais amené ma dernière bouteille de vin jaune 2008 pour la déguster avec Philippe Vandelle, et cela a illustré les capacités de garde de ce vin !
Passons sur l’exceptionnelle soirée entre nous, entre autres avec un poulsard 2003 offert par Philippe Vandelle !
Arbois
Le lendemain, direction le nord du Jura, dans l’Arbois, à Pupillin : nous avons rendez-vous avec Pierre Overnoy et Emmanuel Houillon : Pierre Overnoy, c’est un peu une légende et une référence absolue du vin nature, il est devenu un point de convergence pour tous ceux qui ambitionnent de faire ce type de vins : quand tant de vignerons font des vins nature déviants, avec des tas d’arômes désagréables qu’on aimerait nous faire passer pour l’expression réelle de la nature (goût de souris, etc), les vins sont ici étincelants et aromatiques, et pour en avoir eu en longue garde, traversent le temps sans s’abimer.
Nous avons donc rendez-vous et nous installons, avec d’autres personnes dans … la salle à manger de Monsieur Overnoy ! C’est Emmanuel Houillon qui nous reçoit, lui l’ouvrier fidèle devenu le disciple et aujourd’hui l’avenir du domaine, Pierre Overnoy nous saluera en passant ; vous me pardonnerez ces termes religieux, mais cette dégustation a une ambiance très particulière, c’est vraiment un moment de recueillement autour des vins!
L’élevage de vins nature est différent : les fermentations peuvent durer très longtemps, à différents moments, cette non-maîtrise des durées d’élevage est revenue dans les échanges : Emmanuel Houillon note que les vins sont de plus en plus alcooleux, et que le manque d’eau en août pose des soucis pour les futures fermentations : le travail avec des engrais verts pour augmenter l’azote ne joue pas toujours, car les levures ne peuvent pas tout assimiler.
Les phases d’oxydation provoquent un redémarrage des levures qui s’autolysent, et le vin rajeunit par phase. Le vin change de volume au long de l’année (il se rétracte en hiver), en avril les fermentations reprennent en même temps que la nature : l’eau conditionne tout, pour eux,
l’influence des astres ne se ressent pas si le sol est sec (oui, après quelques années d’hésitation, le domaine a évolué vers la biodynamie au début des années 2010).
Deux vins m’ont marqué, le savagnin 2001, toujours en tonneau, ouillé chaque semaine, complètement hallucinant avec son nez de vin de paille (qui m’a rappelé un château Chalon 1976 de Macle dégusté il y a 4 ou 5 ans) et le savagnin 2020 , gouté sur fût, en cours de fermentation (encore 8 grammes de sucres) : les deux expriment l’énorme observation que font les deux vignerons de leurs vins et la profonde humilité face à l’évolution du vin.
Montigny les Arsures
Direction Montigny les Arsures, on est au cœur des terres à rouges du Jura, comme à Pupillin, et c’est au caveau de Bacchus que nous allons : Lucien Aviet, « Bacchus » est malheureusement décédé en 2021, son fils Vincent qui vinifiait déjà sous le regard du papa a donc seul les rênes du domaine aujourd’hui.
Chez Bacchus, le foudre (16 à 30 hl) règne et nous dégustons entourés de foudres majestueux et intemporels ! les rouges font référence, et pour avoir gouté des trousseaux de 30 ans du domaine, sont bons jeunes comme vieux ! Entre autres dans notre dégustation le trousseau 2020 et le trousseau Ruzard Rosière 2020 sont superbes, le vin qui m’aura le plus épaté est un savagnin 2015 quasi un jaune déclassé au bout de 4 ans qui est fantastique ! Il faudra malheureusement se battre pour les dernières bouteilles, j’ai dû me laisser déconcentrer par une Volvo et n’en ai pas eu !
Sortis de chez Bacchus, il était l’heure de passer saluer Jacques Puffeney, qui avait baissé le rideau fin 2021 avec la fin de commercialisation de son dernier vin jaune 2014. J’avais prévu une cuvée Bérangère 2011, mais Monsieur Puffeney ne m’a pas laissé l’occasion de l’ouvrir ! Nous avons attaqué par un chardonnay 2003 étincelant, suivi d’une cuvée sasha (savagnin et Chardonnay) assemblée entre plusieurs millésimes, puis un assemblage entre pinot poulsard et trousseau fait sur les dernières années avec les quelques ares restées en production, un trousseau les Bérangères 2012 magnifique, un trousseau 1979 qui n’avait pas la moindre trace des 40 ans, un poulsard 2003 tout aussi jeune ! était-ce fini ? non, entre deux anecdotes, nous avons gouté le vin jaune 2015 franc de pied, un jaune lumineux de délicatesse et d’élégance, avant de finir sur le vin de paille 2008, le meilleur qu’il ait produit selon lui !
Ça , c’est le Jura : les grands vignerons restent accessibles, les dégustations permettent d’avoir une vision exhaustive de chaque domaine, et même si les vins jaunes sont des vins chers (30 à 60 euros dans les domaines visités), il y a toujours moyen d’avoir des bouteilles accessibles.
Voilà, vous savez tout, le weekend 2023 sera forcément un grand moment, entre amateurs et potes, et avec de grands vignerons !
##La prise de note des dégustations :
Montbourgeau
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Crémant : très équilibré, citronné, arômes de fruits du verger, très frais, peu vineux
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Pied de Mont-Augy 2020*** (chardonnay ouillé) : un 1er nez citronné, ressemblant au crémant, côté farineux de la pomme, bel équilibre après une attaque minérale, très jolie bouche
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Chardonnay ouillé La chaux 2020 * : équilibre un peu moins aérien, plus d’acidité, avec un côté terroir plus marqué avec des arômes de pomme cuite
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L’assemblage 2020 : il s’agit d’un sous-produit de la parcelle dite la Banode, le nez est proche du crémant, très aérien, équilibré, en bouche on a à la fois une sensation acidulée, citronnée et le terroir, avec une finale saline qui termine bien la bouche
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L’Etoile 2018 (chardonnay) : quelle bouche, elle fait saliver, elle est ample, fraiche, un très beau vin et seulement 12 euros !!!
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En Banode 2018 : un blanc opulent issu d’une parcelle complantée, avec une bouche tendue en même temps, la trame est finement amère, et cela accompagne bien la puissance
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L’Etoile savagnin 2018 : un savagnin très frais qui met en appétit, on n’a pas le côté oxydatif, et on termine sur la noisette grillée
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L’Etoile cuvée spéciale 2017 : quasi 4 ans et demi de fût pour ce vin, une mise de début 2022, la bouche est assez florale, saline, très équilibrée
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Vin jaune 2015 : quelle puissance, là aussi, un vin qui fait saliver, les arômes sont floraux, sur la noix jeune aussi (pas encore mure, laiteuse, blanche), des notes grillées aussi, et verre vide , on a le côté curry qui ressort
Vandelle
Crémant : agréable, frais
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La chainai ouillée 2020*(savagnin) : légèrement citronné, assez minéral, ce vin ne fait pas penser au Jura ni au savagnin ! la bouche est tendue, avec une finale saline terminée par une touche d’amertume
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Chardonnay 2020 : 6 mois en tonneau, avec une petite oxydation, le nez reste floral et citronné, puis le terroir arrive , sans être prégnant. Verre vide, on retrouve la pomme granny Smith.
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Chardonnay tradition 2019 18 mois de tonneau, avec un peu de voile, le nez est floral, avec de suite les amandes grillées, un très joli vin à la finale saline et de belle longueur, un très beau prix-plaisir !
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Vieilles vignes 2018 (20% savagnin) * : 2 ans de voile, un vin classique, qui me rappelle le côtes du Jura de Macle, le fait que le voile soit très fin permet de ne pas bloquer les échanges avec l’air
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Savagnin 2018 : 3 ans de vieillissement, un nez sur la pomme granny, un peu de noix verte, la bouche est ample, avec la fraicheur du savagnin, une pointe de sucrosité assez curieuse, liée selon Philippe Vandelle à l’alcool
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Vin jaune 2015 : très beau jaune, digeste, belle tension !
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Vin de paille 2018 : très bel équilibre, 130 gr de sucres, une bouche qui fait penser aux calissons !
Overnoy – Houillon
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Chardonnay 17 : élevage foudre de 4 ans, mise en bouteille ‘2021, bouche légère, à peine perlante : la parcelle d’éboulis calcaires sur marnes donne un côté acidulé, citronné. La fermentation a duré deux ans, en cave froide
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Savagnin 2016 : parcelle sur marnes rouges affleurantes, élevage béton de deux ans en cuve ovoïde de 30 hl, on a des arômes grillés , empyreumatiques, un côté caillouteux aussi, la bouche est florale, légère, sous-tendue par des amers élégants : l’acidité est plus marquée que sur le chardonnay, mais le très gros volume de l’œuf fait qu’il n’y a aucune trace oxydative.
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Chardonnay savagnin 2016 : 5 ans d’élevage, 80% chardonnay ouillé en petit volume (pièce bois), pas de tendance oxydative, le vin est toasté, a des arômes de brioche beurrée : pour EH, le chardonnay donne la rondeur et le savagnin le tranchant, les deux sont vinifiés séparément : les arômes de pomme cuite apparaissent au deuxième nez et en finale
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Poulsard trousseau 2018 : un nez « merdeux », malgré l’ouverture la veille, là pour le coup, l’arôme de vin nature habituel est là !! le millésime est très particulier, énormément de tanins, il y a eu entre 4 et 6 mois de macération contre 4 à 6 semaines d’habitude : on a ensuite le côté noyau de cerise, la bouche est ample, structurée, aucune agressivité
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Savagnin 2001 : il s’agit d’un vieux savagnin ouillé, au nez de caramel, 19 ans de tonneau, au nez on pense à un vin de paille évolué, c’est sec, complètement hallucinant : c’est toujours en fut.
La gestion des pièces âgées est un sujet important. Ce vin est ouillé toutes les semaines, les lies sont au fond et marquent le tout
- Savagnin 2020 (pris sur fût) : en cours de fermentation , restent 8 gr se sucre, le vin est trouble : on a des arômes grillés, de popcorn, de pain brulé au nez, en bouche le vin est acidulé, marqué par les agrumes et par sa sucrosité, très équilibré en tout cas. Il a été récolté à 15 degrés, peut finir à 16
Caveau de Bacchus
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Poulsard 2020 : puissant, riche malgré ses 12.5 degrés, équilibré aussi, élevé en foudre
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Trousseau Poussot 2017 : nez sur la rose, les fruits noirs, fin de bouche un peu évoluée
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Trousseau Nonceau 2018 : issu d’une parcelle de 1991, attaque fruitée (fruits rouges), très plaisant
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Trousseau Ruzard Rosières 2020 : une tuerie, l’équilibre est incroyable entre les arômes et la structure
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Trousseau 2020 : plus minéral que le précédent, la couleur est profonde, les tanins fermes, avec une touche végétale, c’est à 70% un vin de presse : à acheter pour 2035/2045
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Melon à queue rouge 2020 : c’est un cousin du chardonnay, on a un vin acidulé, avec des arômes du verger, l’attaque est douce et l’acidité enrobée, la finale est saline
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Savagnin 2015 : fantastique : épicé, riche, équilibré, c’est un choix du vigneron de le déclasser pour manque de complexité, et verre vide, on a des arômes confits de vin de paille
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Vin jaune 2013 : très élégant
Elixir de la grand-mère : organiser un cambriolage pour ce tonneau d’un litre parait pertinent tellement c’est magique